Imaginez l'histoire suivante : nous sommes 3,5 milliards d'années plus tôt. Toutes les conditions sont réunies pour que la vie émerge sur Terre : une atmosphère constituée de dioxyde de carbone et d'azote, de l'eau en abondance, à la bonne acidité et à la température idéale. En outre, tous les éléments chimiques susceptibles d'interagir sont présents. Mais, trop éloignés les uns des autres, ces composés ne se rencontrent pas et... la vie n'apparaît jamais sur Terre. Clap de fin. Bon, nous ne le savons que trop bien, le scénario s'est déroulé tout autrement ! La vie a bel et bien émergé pour coloniser la planète entière. Mais ce processus n'aurait pas pu s'enclencher si l'évolution n'avait pas trouvé un moyen génial pour faire interagir ces composés chimiques de base. « Pour obtenir de la vie, il faut trois éléments, énu-mère Michel Morange, professeur de biologie à l'École nationale supérieure et à l'université Pierre-et-Marie-Curie (Paris) : du méta- bolisme, c'est-à-dire des éléments qui peuvent réagir chimiquement ensemble ; des molécules capables de s'autorépliquer ; et, point essentiel qu'on oublie trop, un compartiment pour isoler tous ces éléments. » Car, qui dit membrane, dit énergie, et dit également première usine chimique à fabriquer du vivant Peu d'équipes dans le monde travaillent sur cette thématique. Celle de Jack Szostak (Nobel 1991 pour les télomères) à l'Institut médical Howard-Hugues (Boston, États-Unis) est l'une des plus actives. Elle a publié fin 2013 un modèle de « protocellule », une simple vésicule constituée de chaînes d'acides gras et renfermant des ribozymes (des petits bouts d'ARN capables de catalyser des réactions chimiques). La conviction de l'équipe est que les premières membranes étaient vraisemblablement semi-perméables, capables de piocher des éléments dans l'environnement extérieur, et non totalement imperméables et fonctionnant en autosuffisance, comme avancent d'autres chercheurs. Or cette question de la porosité est essentielle pour espérer comprendre un jour son évolution. Car tout porte à croire qu'il ne faut rien attendre des fossiles : les plus anciennes traces de vie dénichées jusqu'à présent ne sont pas suffisamment vieilles pour remonter jusqu'aux origines de cette structure. Datant de -3,5 milliards d'années, on les trouve dans les stromatolithes, des structures géologiques mi-sédimentaires mi-biogéniques (édifiées par des cya-nobactéries), principalement en Australie. Les chercheurs constatent peu de changements depuis cette époque reculée. La membrane de ces cyanobactéries primitives est très similaire à celle qui équipe aujourd'hui le règne animal, des bactéries aux êtres humains (voir l'infographie ci-dessus). Et avant cette date? La réponse se trouverait-elle dans LUCA (Last Universal Common Ancestor), le plus vieil ancêtre commun - théorique - qui vivait probablement 300 millions d'années plus tôt, vers -3,8 milliards d'années? Hélas ! là encore, c'est une impasse. « LUCA est déjà un organisme complexe avec une membrane évoluée, explique Christophe Malaterre, philosophe des sciences à l'université du Québec à Montréal (Canada). Dans l'histoire de l'aviation, ce serait déjà i'équiva-lent d'un bimoteur... Nous ignorons totalement ce qui a précédé. »
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