Cet article entend répondre à une question : que doit Tintin à la fiction du xixe siècle ? Un long processus historique mène de la progressive autonomisation de la figure du reporter au héros du Petit Vingtième. D’abord déconsidéré, consacré aux basses tâches du journal, le reporter est à l’origine un fait diversier qui hante la ville à l’affût de petits événements à noter. Peu à peu, son champ d’action s’élargit, son rayonnement géographique grandit et son statut au sein d’un journal en voie de professionnalisation, autour de 1900, acquiert ses lettres de noblesse, jusqu’à détrôner le chroniqueur dans la hiérarchie du journal. À la même époque, ce succès est nettement perceptible à travers une série de romans : Michel Strogoff et Claudius Bombarnarc de Jules Verne (1876 et 1893), Le Sieur de va-partout de Pierre Giffard, oeuvre située à mi-chemin entre la fiction et le témoignage (1880), La vie des frelons de Charles Fenestrier (1908) et surtout la série de Rouletabille de Maurice Leblanc (1907) — elle-même précédée par un feuilleton méconnu, paru dans Le Matin en 1900 : Que faire ? de Desnard (et son nègre Apollinaire). La lecture de ces romans montre d’une part que la professionnalisation du reporter est en phase avec un processus de délittérarisation des enjeux que porte la fiction du journalisme, et d’autre part que s’inventent à cette époque les procédés poétiques et thématiques qu’Hergé reprendra et adaptera aux contraintes spécifiques de la bande dessinée.
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